Droit de greve

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Distinct du conflit individuel, relevant de la juridiction prud’homale, le conflit collectif de travail se caractérise par deux éléments. C’est un conflit qui :

-  émane de groupements, organisés ou non (ex. : syndicats ou personnel d’une entreprise) ;

-  met en jeu des intérêts collectifs, c’est-à-dire communs à un ensemble de salariés (ex. : la liberté syndicale, le libre exercice des fonctions de représentant du personnel, la révision des salaires, la durée du travail, l’hygiène et la sécurité, etc.).

Les conflits collectifs du travail se traduisent en général par la grève ou le lock-out.

Le règlement amiable de ces conflits obéit à des procédures spéciales.

 

 

 I.  Grève

 

1701

C. trav. art. L 521-1

M-II-200 s

Reconnu par la Constitution, le droit de grève « s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » (Constitution du 4-10-1958, Préambule).

L’article L 521-1 du Code du travail précise que « la grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié », et interdit à l’employeur de tenir compte, pour l’attribution à un salarié d’avantages financiers et sociaux, de sa participation à une grève. Il pose également le principe de la nullité du licenciement abusif de grévistes, autorisant par là même ces derniers à demander, en justice, leur réintégration.

La jurisprudence, abondante en la matière, a été amenée à préciser les conditions d’exercice et les conséquences de la grève.

Sur la nullité de la dénonciation d’un usage tendant à faire échec à l’exercice du droit de grève, voir n° 2581, b.

 

 

 A.  Définition de la grève

 

1702

M-II-1000 s

La grève est la cessation collective et concertée du travail par le personnel d’une ou plusieurs entreprises en vue d’appuyer des revendications professionnelles (Cass. soc. 16-5-1989 n° 1943 : RJS 6/89 n° 536 ; 18-1-1995 n° 595 : RJS 3/95 n° 289 ; 18-6-1996 n° 2836 : RJS 8-9/96 n° 970).

 

Cessation complète du travail

1703

M-II-1180 s

La grève se caractérise essentiellement par un abandon du travail. Mais tout arrêt de travail ne mérite pas nécessairement le qualificatif de grève. La grève authentique implique la cessation complète du travail.

La jurisprudence retient cette condition pour condamner la grève perlée qui se traduit par une exécution du travail au ralenti ou dans des conditions volontairement défectueuses, sans interruption véritable de l’activité. Elle considère que le droit de grève reconnu au salarié n’autorise pas celui-ci à exécuter son travail dans les conditions qu’il revendique, autres que celles prévues à son contrat ou pratiquées dans la profession (jurisprudence constante ; notamment : Cass. soc. 25-6-1991 n° 2443 : RJS 8-9/91 n° 998).

Aussi la participation d’un salarié à une grève perlée peut-elle être considérée comme une faute professionnelle susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire (n° 1729).

 

Durée et formes de l’arrêt de travail

1704

M-II-7600 s

La durée de l’interruption de travail importe peu. Aucun minimum n’est requis ; par exemple, un arrêt d’une heure constitue une grève (Cass. soc. 29-1-1960 n° 58-40.507). Les arrêts de travail de courte durée ou « grèves d’avertissement » peuvent être qualifiés de grève authentique dès lors qu’ils ont un caractère collectif et un but professionnel.

 

1706

Les débrayages et grèves répétées, même de très courte durée, constituent l’exercice normal du droit de grève. En revanche, ils revêtent un caractère abusif lorsqu’ils entraînent une désorganisation de l’entreprise, et non pas seulement de la production (Cass. soc. 30-5-1989 n° 2196 : RJS 7/89 n° 615 ; 7-4-1993 n° 1579 : RJS 5/93 n° 539) ou procèdent de la volonté de nuire à la situation économique de celle-ci (Cass. soc. 25-2-1988 n° 852). Dans ce cas, les salariés concernés peuvent être licenciés pour faute lourde (n° 1750 s.). Ainsi jugé pour ceux qui avaient observé des arrêts de travail répétés le jour même où l’ensemble des grévistes avait repris le travail, l’employeur ayant accepté leur revendication (Cass. soc. 19-6-1987 n° 2459).

A contrario, l’absence d’intention de nuire peut ressortir du fait qu’en dépit d’arrêts très fréquents (45 arrêts successifs en moins de 2 mois) des précautions ont été prises pour préserver les machines de production (implicitement : Cass. soc. 30-5-1989 n° 2196 : RJS 7/89 n° 615).

 

1707

Les grèves tournantes consistent en arrêts de travail affectant successivement dans l’entreprise, soit les catégories professionnelles (grèves tournantes verticales), soit les secteurs d’activité, services ou ateliers (grèves tournantes horizontales).

Interdite dans le secteur public (voir cependant n° 1727-d), cette forme de grève est admise, sauf abus, par la jurisprudence qui y voit un exercice normal du droit de grève (Cass. soc. 14-1-1960 n° 58-40.010).

La preuve de l’abus de droit soulève des difficultés. Le juge des référés, saisi par l’employeur, apprécie les faits pour décider s’il y a urgence ou dommage imminent lui donnant compétence pour ordonner la cessation d’une telle grève (Cass. soc. 22-1-1981 n° 162).

 

1708

Les grèves avec occupation des locaux de travail ne sont pas en elles-mêmes illicites.

Si l’occupation présente des risques pour la sécurité des personnes et des biens, l’employeur peut demander en référé l’expulsion des grévistes (Cass. soc. 26-2-1992 n° 1017).

Les juges saisis d’une telle demande n’ont pas à se prononcer sur le caractère licite du mouvement. Ils doivent seulement rechercher si les faits reprochés aux défendeurs constituent un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser (Cass. soc. 3-12-1986 n° 2989).

Lorsque l’expulsion est ordonnée, est-elle applicable à l’ensemble du personnel occupant les lieux ou seulement à ceux qui ont été nommément assignés ? Il paraît difficile en pratique de citer chaque gréviste, mais si seuls les dirigeants de fait du mouvement sont assignés, sur quelle base juridique considérer que l’ordonnance d’expulsion vaut pour tous les grévistes ? Le recours à la procédure de l’ordonnance sur requête échappe à l’exigence du contradictoire et offre au président du tribunal de grande instance la possibilité d’ordonner toutes mesures urgentes : cela permettrait notamment de statuer à l’égard des autres occupants « en raison de l’urgence à prévenir un dommage imminent, de la difficulté pratique d’appeler individuellement en cause tous les occupants et de la possibilité pour les dirigeants de fait du mouvement de grève de présenter les moyens de défense communs à l’ensemble du personnel » (Cass. soc. 17-5-1977 n° 75-11.474 ; 23-6-2004 n° 1289 : RJS 11/04 n° 1187).

Les grévistes demeurant sur les lieux de travail malgré une ordonnance d’expulsion commettent une faute lourde (Cass. soc. 30-4-1987 n° 1584). Sur les conséquences d’une faute lourde, voir n° 1750 s.

Dans ce cas, l’employeur, muni d’un titre exécutoire, peut en outre faire appel à la force publique en vue d’obtenir l’évacuation. Le refus (ou un retard excessif) de l’autorité administrative de faire procéder à l’expulsion engage la responsabilité civile de l’Etat (CE 6-5-1991 n° 62404 : RJS 7/91 n° 874).

L’employeur ne peut recourir à une société de gardiennage pour faire procéder à l’expulsion des grévistes. Il est en effet interdit aux entreprises de surveillance, de gardiennage, de protection des personnes, de s’immiscer à quelque moment et sous quelque forme que ce soit dans le déroulement d’un conflit du travail ou d’événements s’y rapportant (Loi 83-629 du 12-7-1983 art. 4 modifié).

S’agissant de l’incidence d’une occupation des locaux sur l’obligation de l’employeur de fournir du travail et de rémunérer les salariés non grévistes, voir n° 1743.

 

Moment de l’arrêt de travail

1710

M-II-7200 s

Sauf dans les services publics, la grève peut être déclenchée à tout moment. Les salariés qui décident de cesser le travail ne sont astreints à aucune formalité préalable. Quelles que soient les dispositions de la convention collective sur ce point (voir n° 1731), ils n’ont pas à respecter de préavis. De même, ils n’ont pas obligation d’attendre le résultat d’une procédure de conciliation, ni d’organiser un référendum.

Si des revendications professionnelles doivent être préalablement présentées à l’employeur, les salariés ne sont pas tenus d’attendre, pour déclencher la grève, que l’employeur ait refusé de les satisfaire (Cass. soc. 11-7-1989 n° 2937 : RJS 10/89 n° 794 ; 20-5-1992 n° 2189 : RJS 7/92 n° 905).

Sous cette réserve, la grève surprise est légitime, sauf abus de droit (sur la définition de l’abus, voir n° 1730).

 

Cessation collective du travail

1713

M-II-1600

Selon une jurisprudence bien établie, il n’est pas nécessaire que le mouvement de cessation collective soit le fait de la totalité ou de la majorité du personnel concerné pour qu’il soit qualifié de grève (Cass. soc. 3-10-1963 n° 62-40.059 ; 21-6-1967 n° 66-40.442).

La grève peut donc être limitée à un établissement de l’entreprise, à un atelier, à une catégorie professionnelle, à une fraction du personnel même minoritaire.

 

Précisions

a.  L’arrêt de travail d’un seul salarié ne peut constituer une grève sauf dans le cas où l’intéressé obéit à un mot d’ordre formulé sur le plan national (voir n° 1721) ou lorsqu’il est l’unique salarié de l’entreprise (Cass. soc. 13-11-1996 n° 4514 : RJS 12/96 n° 1312). Jugé, s’agissant du secteur public, que la grève peut être le fait d’un agent isolé si, compte tenu de sa situation, il est le seul à pouvoir défendre ses revendications (CAA Marseille 18-6-1998 n° 96-10733 : RJS 12/98 n° 1557).

L’arrêt de travail décidé par 2 salariés (CA Nancy 13-5-2003 n° 01-326 : RJS 12/03 n° 1429) ou par 3 salariés (Cass. soc. 9-6-1982 n° 1181) pour revendiquer une augmentation salariale ou une amélioration des conditions de sécurité est licite.

b.  Lorsqu’un vote de la majorité des salariés est intervenu en faveur de la reprise du travail, une fraction minoritaire peut poursuivre la grève. Le droit de grève constitue un droit personnel que chacun peut exercer sans être lié par la loi de la majorité.

Jugé toutefois que, lorsque les revendications ont été considérées comme satisfaites par la majorité du personnel qui a repris le travail, la grève ne saurait être poursuivie par une minorité sans revendications nouvelles (Cass. soc. 6-11-1985 n° 3783 ; 19-6-1987 n° 2459).

 

Cessation concertée

1715

M-II-2050 s

La grève suppose la volonté commune de cesser le travail dans un but déterminé.

L’absence de réglementation du droit de grève interdit de condamner les interruptions de travail ne s’accompagnant d’aucune procédure ou formalité préalable (préavis : n° 1710, vote, référendum…) ou échappant à toute emprise syndicale : grèves sauvages (notamment : Cass. soc. 19-2-1981 n° 402).

Mais il faut que la volonté des salariés ait été effectivement de faire grève. Il n’en est pas ainsi lorsque ceux-ci interrompent le travail pour tenir une réunion syndicale d’information. On est alors en présence d’une réunion syndicale irrégulière et non d’une grève (Cass. soc. 16-5-1973 n° 72-40.541).

 

Revendications d’ordre professionnel

1717

M-II-2600 s

Seule est légale et protégée comme telle par le principe de la suspension du contrat de travail (n° 1736 s.) la grève fondée sur des revendications professionnelles présentées à l’employeur.

Les mouvements d’arrêt de travail déclenchés pour un motif autre que professionnel sont illicites, et le fait d’y participer constitue une faute professionnelle justiciable de sanctions disciplinaires (n° 1729).

 

Précisions

a.  Par exemple, ont été considérées d’ordre professionnel les revendications portant sur :

-  les conditions de rémunération, primes, avantages divers, calcul en fonction de la classification professionnelle, règlement des heures supplémentaires, etc. ;

-  les conditions de travail, les cadences, les horaires ;

-  l’emploi ;

-  les droits syndicaux.

 

Bien plus, la simple crainte du personnel de subir à l’avenir des compressions d’effectifs peut également constituer un motif légitime de grève. Ainsi jugé en cas d’arrêt de travail postérieur (Cass. soc. 27-2-1974 n° 72-40.726) ou concomitant (Cass. soc. 22-11-1995 n° 4531 : RJS 1/96 n° 61) à l’annonce de plusieurs licenciements pour motif économique.

b.  Les revendications professionnelles doivent-elles, en outre, être raisonnables ? La jurisprudence est partagée. Pour l’assemblée plénière de la Cour de cassation, la présentation de revendications professionnelles déraisonnables, que l’employeur ne peut de toute évidence pas satisfaire, justifie la suspension du préavis de grève par le juge des référés (Cass. ass. plén. 4-7-1986 n° 247). La chambre sociale, pour sa part, considère qu’en l’absence d’abus de droit, le juge ne peut substituer son appréciation à celle des grévistes, dès lors que les revendications ont bien un caractère professionnel (Cass. soc. 2-6-1992 n° 2458 et 2459 : RJS 7/92 n° 906 ; 19-10-1994 n° 3757 : RJS 12/94 n° 1413).

 

1721

 

M-II-3800 s

La grève politique, qui consiste en une protestation contre les décisions de la puissance publique (décision de justice ou administrative, alliance militaire, acte de Gouvernement, etc.), constitue un mouvement illicite (n° 1729). La satisfaction de telles revendications ne peut en effet dépendre de l’employeur et la grève se trouve ainsi détournée de sa finalité normale.

Néanmoins, toute grève menée contre la politique du Gouvernement n’est pas nécessairement une grève politique. La politique économique et sociale de l’Etat a des incidences directes sur le terrain professionnel, sur les conditions de salaire et d’emploi. Aussi bien de nombreuses grèves reposent-elles à la fois sur des mobiles politiques et des mobiles professionnels.

En présence d’une « grève mixte », il appartient au juge de rechercher le poids respectif des motivations qui ont inspiré les grévistes.

La chambre sociale a déclaré licite la grève déclenchée sur le plan national pour protester contre les mesures économiques et sociales constituant le « plan Barre », les revendications justifiant cette grève (refus du blocage des salaires, défense de l’emploi, réduction du temps de travail) étant étroitement liées aux préoccupations quotidiennes des salariés. Jugé par ailleurs qu’un salarié pouvait s’associer à ce mouvement même si aucune revendication particulière à l’entreprise n’avait été formulée et si l’intéressé était seul à faire grève dans son entreprise (Cass. soc. 29-5-1979 n° 1199 ; 29-3-1995 n° 1423 : RJS 5/95 n° 553).

Jugé également qu’une manifestation nationale de solidarité professionnelle pour la défense de l’emploi et du droit syndical repose sur des revendications qui, pour être générales et communes à un très grand nombre de travailleurs, n’en sont pas moins de nature à intéresser les salariés de l’entreprise (Cass. crim. 12-1-1971 n° 90-753.70).

 

1721

Conflits collectifs – GrèveRevendications d’ordre professionnel

La cessation concertée et collective du travail en vue de soutenir un mot d’ordre national pour la défense des retraites constitue une revendication à caractère professionnel.

Cass. soc. 15-2-2006 n° 452 FS-PB : BS 5/06 inf. 472

 

1722

M-II-3340 s

La grève de solidarité déclenchée pour soutenir les revendications émises par d’autres salariés de la même entreprise ou par des travailleurs étrangers à celle-ci n’est légitime que si elle a pour but de défendre des intérêts professionnels et collectifs du personnel.

a. Déclenchée à l’intérieur de l’entreprise

La grève de solidarité a le plus souvent pour objet de protester contre des licenciements (disciplinaires ou non) ou contre des mesures disciplinaires frappant certains salariés. Selon la Cour de cassation, un tel mouvement n’est licite que si ceux qui le suivent peuvent se prévaloir d’un intérêt collectif, d’une revendication d’ordre professionnel concernant l’ensemble du personnel. Par exemple : participation d’un salarié détaché pour la défense de la représentation du personnel (Cass. soc. 17-12-2003 n° 2727 : RJS 3/04 n° 339) ; soutien de salariés licenciés pour avoir prolongé leur congé au-delà de la date fixée par l’employeur, la suppression du fractionnement des congés étant demandée par le personnel (Cass. soc. 27-11-1985 n° 4193) ; soutien de salariés sanctionnés pour non-respect des cadences de travail (Cass. soc. 23-11-1977 n° 76-40.825 ; CA Aix-en-Provence 8-9-1992 n° 90-5339). Indépendamment de l’abus éventuellement commis par l’employeur, il faut considérer la cause du licenciement survenu. Si celle-ci est strictement personnelle au salarié sanctionné (refus de travail : Cass. soc. 8-1-1965 n° 64-40.135 ; 16-11-1993 n° 3602 : RJS 1/94 n° 72 ; injure : Cass. soc. 18-3-1982 n° 698), le juge estimera que le litige ne met pas en cause l’intérêt de l’ensemble du personnel. Il en va différemment si la sanction paraît discriminatoire, liée à l’activité syndicale ou à la vie privée, les grévistes pouvant alors plus aisément prétendre avoir agi dans l’intérêt de tous.

b. Dépassant le cadre de l’entreprise

La grève de solidarité reste légitime lorsqu’elle cherche à obtenir par un large mouvement collectif, pour les salariés d’une même branche professionnelle, une amélioration de leurs conditions de travail par le biais, par exemple, d’une convention collective. De même, des salariés, appartenant à des branches d’activité différentes, peuvent avoir en vue de défendre des droits communs à tous les salariés, comme par exemple la liberté syndicale.

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